D.3.1. Lettre d’un revenant

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Bonjour Raoul,

J’espère que ce message te parviendra.

J’ai la grande tristesse de t’annoncer le décès de RICHARD, à l’âge de 85 ans, le 21 août 2018, à l’hôpital Henri Mondor de Créteil. Il a été incinéré au Père Lachaise et ses cendres sont déposées au cimetière de Buffières. Je t’embrasse.

Michel

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Bonjour Michel,

Je t’avoue que je suis quelque peu surpris de recevoir ce message de ta part, étant resté sans nouvelles de toi depuis vingt ans bientôt.

La dernière fois que je t’ai rencontré, c’était le 18 novembre 1998. Je m’en souviens comme si c’était hier, car c’était le jour de la naissance de Sarah, la petite-fille de Soad. Un peu après minuit, j’avais conduit la parturiente à la maternité Béclère de Clamart et, lorsqu’elle a accouché, je suis rentré chez moi au petit matin me préparer pour prendre mon train en gare de Lyon : j’avais rendez-vous, dans ton cabinet de Riom pour discuter avec toi de mon divorce. Lorsque je suis arrivé à destination, tu étais visiblement débordé. J’ai patienté jusqu’à l’heure du déjeuner où j’ai pu enfin t’exposer mon problème en tête à tête. De retour à ton cabinet, tu as photocopié les pièces du dossier que tu estimais nécessaires… et je n’ai plus eu de tes nouvelles jusqu’à aujourd’hui.

Mais, comme il n’y a pas de maux infinis, après avoir épuisé quatre avocats (dont un en appel), je suis parvenu à divorcer de mon ex, en septembre 2013, au bout de seize années de procédures inutiles mais néanmoins coûteuses. Cet énorme soulagement, je le dois à un mien cousin, Kenneth Féliho, avocat à Paris. Il a réussi à liquider l’affaire en moins de six mois, tel qu’il me l’avait promis lors de notre unique et seule entrevue. Je dois préciser que, de ma vie durant, je ne l’avais jamais rencontré. Je ne connaissais que son père, Félicien Féliho, médecin militaire de son état, formé à l’école de santé navale de Bordeaux. C’est mon oncle qui m’a conseillé de me mettre en rapport avec Kenneth, constatant l’impasse dans laquelle je me débattais depuis tant d’années.

Si je te confie tout ceci, c’est pour que tu saches que beaucoup d’eau a coulé depuis sous les ponts ; mais je n’oublie pas l’adage africain qui dit que c’est dans le besoin que l’on reconnaît ses amis. En venant te voir à Riom à ton invite, je venais voir un ami. J’ai appris, à mes dépens, que je m’étais lourdement trompé sur la réalité de cette amitié. J’en ai fait part à Richard lorsque je l’ai rencontré, le 23 mars 2016, en son domicile de Créteil. Il a paru très surpris par ma relation des faits. J’ai vu en cette même circonstance son compagnon S. G., ainsi que ta propre fille qui était de passage à Paris pour quelques jours.

Richard ne m’avait rien celé du sérieux de son état de santé. Il espérait seulement tenir au moins deux années encore afin que S., son mari à l’état-civil depuis 2014, puisse bénéficier de sa pension de réversion. Je devais revoir ton frère au cours de ce printemps 2018 afin que nous déjeunions avec D. N., un ami juriste qui l’avait connu en coopération lorsque Richard était conseiller culturel à Nouakchott. Tous les messages que j’ai laissés sur ses téléphones de Créteil et de Buffières pour prendre date sont restés sans réponse. C’est par F.V. que j’ai appris son décès le 21 août dernier. Pour l’ami fidèle qu’il a toujours été, je te prie de recevoir mes sincères condoléances.

P.J. : Une photo de Richard lorsque je l’ai revu il y a deux ans ; j’ai mis en médaillon celle notre petite Sarah, étudiante en deuxième année de droit, à Norwich, en Angleterre. La mort est certes une chose inéluctable ; mais il est réconfortant de savoir que, face à elle, il y aura toujours la vie qui continue à travers les êtres qui nous sont chers.

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Je voulais seulement t’annoncer le décès de Richard.

J’apprends que F.V. est lui-même informé. Alors restons-en là. Je te souhaite le meilleur.

Michel

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Une dernière précision afin de mettre un point d’orgue à cette correspondance que je n’ai pas initiée :

Richard et Michel étaient deux frères chez qui j’ai vécu six mois, lorsque j’étais étudiant à Abidjan, en 1971. Richard, né en 1933, était professeur d’histoire au même lycée classique que R. V., mon père adoptif. Quant à Michel, son cadet de treize ans, il finissait ses études de droit à l’université d’Abidjan. Comme ils avaient un grand appartement, ils ont proposé aux V… de m’héberger pour m’éviter de prendre une chambre en cité universitaire. J’ai donc bien connu les deux frères et vécu dans leur intimité avant d’avoir eu 18 ans. Cela fait un paquet d’années ! D’où mon amère déception lorsque Michel, devenu un grand avocat, m’a laissé tomber sans explication aucune, après m’avoir invité à faire le voyage de Riom.

Sur le chemin du retour, sûrement à cause du stress qui m’a fait oublier de boire en suffisance, j’ai eu dans le train une crise de colique néphrétique sans comprendre pourquoi je me tordais ainsi de douleur sur mon siège. J’avais tellement mal que j’ai failli descendre à l’arrêt de Nevers pour me rendre à l’hôpital. J’ai néanmoins réussi à tenir jusqu’à Paris. Lorsque je suis arrivé en me traînant à notre studio de Châtillon, j’ai demandé à Soad d´appeler SOS Médecins. Celui qui est rapidement intervenu a vite fait de diagnostiquer mon mal et m’a injecté le calmant approprié. Le lendemain, j’ai passé la radio qu’il avait conseillée : j’avais effectivement un calcul dans chaque rein ! Comme ils n’étaient pas gros, j’ai pu les éliminer par la suite, juste en urinant. Il paraît que les douleurs de la colique néphrétique sont comparables à celles de l’accouchement. Par conséquent, je peux dire que, à ma manière, j’ai accouché de Sarah ce même 18 novembre.

                                                      Plaisir, 23 septembre 2018