B.2.2. Le sens commun

 

LE SENS COMMUN

    D’entrée, dans le but d’éviter toute confusion inutile et toute polémique dommageable, je précise que je veux parler ici du sens commun et non de « Sens commun », ce mouvement politique français de droite apparu en 2013 à la suite des manifestations contre la loi Taubira ouvrant le mariage aux couples homosexuels. Je ne suis pas de droite.

     D’une manière générale, le sens commun équivaut au bon sens, une façon de juger commune et raisonnable. Ce sensus communis, qui nous vient depuis l’Antiquité du latin, a donc été de tout temps une préoccupation première lorsqu’il s’agit de considérer le vivre-ensemble. Ceci soulève le problème de la rationalité dans nos comportements sociaux, même si cette rationalité est souvent difficile à décrire parce qu’elle est plus de l’ordre du ressenti que de l’arithmétique.

     Le sens commun, c’est ce qui nous permet, en toute confiance, de partager un même univers, quelles que soient nos origines, quel que soit notre milieu d’appartenance. Lorsque j’entends un voyageur entretenir sur son téléphone portable, à voix haute et sans interruption aucune, une conversation dans le train qui va de Plaisir à Paris-Montparnasse, je me dis en moi-même qu’il n’a pas le sens commun ; et peu m’importe que la personne en question s’exprime dans une langue étrangère comme le chinois ou bien le wolof. Pour rester dans le registre des transports en commun, cet Africain que j’ai vu, assis sur un strapontin dans le métro, à une heure de grande affluence, n’avait manifestement pas le sens commun. Ce sens commun aurait dû le conduire à se lever pour laisser un peu plus d’espace aux autres usagers. Non seulement il est resté tranquillement sur son siège, mais il a passé le temps du trajet à se couper méticuleusement les ongles. Arrivé à sa station, il s’est soigneusement épousseté, abandonnant ses rognures sur place comme si cela était du plus naturel. La honte !

     Quand des exemples aussi navrants concernent des personnes extérieures à notre cercle de relations immédiat (famille, amis, collègues), on est malheureusement obligé de faire souvent avec, de composer. Même s’ils peuvent nous déconcerter sur le moment, il s’agit d’événements ponctuels, de faits isolés qui ne modifient pas notre vie en profondeur. Que dire alors lorsque ces personnes, qui manquent totalement de sens commun, font partie de nos proches ?  

     Pendant longtemps, parce que j’avais foi en l’Homme, je me suis évertué à pratiquer la patience à leur endroit, essayant de me persuader que ces fautes manifestes de conduite ou de jugement n’étaient que des errements passagers que le temps allait progressivement gommer. Aujourd’hui que je prends de l’âge, force m’est de constater la véracité de cet adage qui dit :  » Chassez le naturel ; il revient au galop ! « . J’en arrive donc à cette constatation malheureuse : le sens commun ne s’acquiert pas : il est inné ! De ce fait, ceux qui en sont totalement dépourvus ne sont pas près de le trouver un jour, sur leur chemin, comme on tombe sur un trésor. 

     Néanmoins, comme il nous faut tous avancer, cahin-caha, sur le chemin de la vie, j’ai choisi désormais, pour ménager ma propre personne, de m’éloigner de tous les gens qui, à mon sens, manquent cruellement de ce fameux sens commun. Et si, d’aventure, ces mêmes personnes estiment que c’est de mon côté que les choses pèchent et en arrivent à la même décision que moi, nous aurions fait oeuvre utile, et pour une fois de concert, en nous évitant des relations compliquées, pour ne pas dire stériles.

     Vive le sens commun !  

Plaisir, 6 mai 2019