B. Mes articles

 

Ecrire  a toujours été pour moi un plaisir.

Le seul hic est que je n’aime pas écrire à la main. Voici ce que j’en dis dans un de mes livres (1) :

« For God’s sake ! Pour l’amour du ciel ! Oui, je vous implore ! Je vous en supplie ! Pour l’amour du ciel, ne me demandez plus de dédicaces ! Cette requête peut paraître surprenante de la part de l’écrivain en herbe que je suis et même passer pour présomptueuse. Mais la vérité est que je n’en peux plus.

Je n’en peux plus d’avoir à me déplacer et rencontrer des gens, fussent- ils des parents ou des amis, pour apposer mon écriture et ma signature sur la page de garde de livres que j’ai déjà eu du mal à produire. Cela me coûte en temps ; et je ne parle pas des notes de bar ou de restaurant à l’occasion desdites dédicaces. Cela me coûte surtout physiquement et là, il faut que je m’explique.

Je déteste écrire à la main au point de répugner à rédiger un simple chèque. Cette détestation remonte au jour où j’ai découvert la typographie. J’avais dix ans. Mon institutrice de mère, pensant à une nouvelle orientation de sa carrière, s’était inscrite à des cours du soir de sténodactylographie, dans notre quartier de la Sicap Liberté III, à Dakar. Ceux-ci étaient dispensés par une dame française du nom de Rouprich qui habitait une villa non loin de la nôtre. Je me souviens encore de la désignation commerciale de son établissement : les cours du Soleil Levant ! Pour s’entraîner à domicile, ma mère avait fait l’acquisition d’une petite machine à écrire portative qui tenait dans une belle housse en cuir. Lorsqu’elle a rapidement abandonné ses ambitions de se reconvertir en secrétaire de direction, cette merveilleuse machine est devenue ma propriété.

Grâce à elle, je me suis mis à composer mes premiers poèmes. Le reste de ma correspondance a naturellement suivi. Petit à petit, je n’ai plus su écrire à la main : la chose typographiée me paraissait tellement plus nette et plus belle.

Arrivé en classe de première à l’Institution Sainte Jeanne d’Arc de Dakar, Mère Paule, ma prof de français puis de philo l’année suivante, me lançait parfois d’un air désespéré : « C’est dommage, Edgar, qu’avec une aussi belle écriture, vous soyez aussi illisible ! ». Lors des examens ou des concours, je devais consacrer le tiers du temps imparti à essayer de m’appliquer en recopiant les brouillons de mes différentes épreuves. En dépit de mes efforts, je suis intimement convaincu que la plupart des correcteurs n’ont jamais eu la patience d’aller jusqu’au bout de mes pensums et m’ont souvent infligé la note minimale, n’ayant pas réussi à déchiffrer mes hiéroglyphes.

Cahin-caha, cela ne m’a pourtant pas empêché de poursuivre mon cursus académique. Après le bac, j’ai obtenu licence, maîtrise et doctorat. J’ai aussi réussi des concours qui m’ont permis d’effectuer une carrière de fonctionnaire jusqu’à la retraite. Mais, de grâce, qu’on ne m’impose plus d’écrire à la main !

C’est pour cette raison que je ne participerai jamais à aucun salon littéraire ou à des séances de dédicace, même si c’était à l’initiative de mon éditeur. Ma vie n’en dépend pas. C’est ici l’occasion de réitérer avec force que j’écris avant tout pour mon propre plaisir.

Si, par bonheur, ce plaisir pouvait correspondre à celui d’un grand nombre de lecteurs, j’en serais bien évidemment honoré. Mais, for God’s sake, pour l’amour du Ciel, qu’on ne me demande plus de dédicaces ! »


(1) in « Un ferry pour Manly », pages 215 à 217 (Edilivre, 2022)