D.1.2. Ni blanc ni noir

 

Ni blanc ni noir

 

Mon cher Basile,

 

Merci de participer à nos débats. Si j’envoie mes mails de façon circulaire, c’est bien avec l’idée que chacun puisse apporter sa pierre à l’édifice afin que nos échanges soient réellement constructifs (selon le terme consacré). Et quoi qu’il en soit, même avançant en âge, je ne prétends pas détenir la vérité ; ce serait par trop simple !

Confronté à une situation particulière, nous avons tous tendance à réagir en fonction de notre propre expérience, de notre vécu personnel. C’est une démarche humaine, même si elle n’est pas toujours fondée sur la logique. Elle charrie en effet tout ce que nous avons en nous de tabous, d’interdits, d’appréhensions, de craintes, de peurs et même d’aversions. On a envie de vivre, on a envie d’aimer, on a envie de partager… mais on n’a pas envie d’être incompris, d’être bafoué, de souffrir, d’avoir mal. D’où souvent la tentation du repli sur soi, de la distanciation, de l’éloignement.

Un fait est patent et je l’ai déjà énoncé : lorsque l’on est heureux chez soi, on a rarement envie d’en partir, à moins d’avoir un goût inné pour l’aventure. C’est l’insécurité physique ou matérielle, voire parfois les deux, qui pousse les êtres à s’expatrier. Certains, au bout d’un long périple, reviennent au charnier natal ; d’autres, jamais. Il faut simplement savoir respecter les choix personnels de vie et ne pas jeter l’anathème. Pour mieux éclairer ta lanterne, c’est à peu près la même chose qui se passe dans un couple.

Lorsque je m’élève contre « les combattants de la 25ème heure », c’est que, sous le bénéfice de vivre dans un pays de droits et de libertés, ils expriment, souvent à tort et à travers, des critiques qu’ils ne se permettraient pas dans leurs pays d’origine où, précisément, ces droits et ces libertés leur sont niés. Nelson Mandela a mené son combat, chez lui, depuis sa prison, pendant plus de 25 ans, jusqu’à ce que le mur de l’apartheid cède ; il ne l’a pas fait depuis les salons dorés d’une puissance étrangère. Et je crie alors : « Maximum Respect ! » ; tout comme je le crie pour des Lumumba ou des Moumié. Seulement, des Mandela, des Lumumba et des Moumié, je n’en vois plus beaucoup aujourd’hui.

Aimé Césaire, dont tu cites le « Discours sur le Colonialisme », a écrit cette phrase magnifique : « On a beau peindre blanc le tronc de l’arbre, les racines en dessous demeurent toujours noires ». Il ne s’agit donc nullement de nier ou de renier nos origines. Ceci étant, si la citoyenneté française ne fait pas encore de nous des Français à part entière, c’est à cause de la façon dont nous percevons le regard de l’autre. Et l’autre étant maître chez lui (il ne nous a jamais contraints à venir, n’est ce pas ?), c’est à nous qu’il appartient de modifier ce regard par l’exemple, par notre force de conviction, par la persuasion. Comme c’est encore aujourd’hui le cas pour les femmes lorsqu’elles sont confrontées aux hommes dans le monde du travail, l’homme noir, opposé au blanc, devra toujours en faire plus pour démontrer sa valeur, son aptitude. C’est un long travail ; c’est un long chemin. Et, d’une certaine façon, des personnalités, comme Obama auquel tu fais référence, montrent par leur action que tout espoir nous est effectivement permis. Qui aurait pu imaginer, un jour, qu’un noir s’installerait à la Maison Blanche ?

Il nous faut également éviter tout manichéisme : tout n’est jamais blanc, tout n’est jamais noir mais, comme le dit la chanson, « souvent d’un gris différent ». Être dans l’opposition systématique n’a jamais fait des gens des héros, tout comme chercher à œuvrer en bonne intelligence avec l’ennemi d’hier ne vous transforme pas illico en collabo. Personnellement, pour avoir connu l’un et l’autre que tu mentionnes également dans ta réponse, je préfère de loin la noble figure d’un Léopold Sédar Senghor (cf. son texte : « Ce que l’homme noir apporte ») aux imprécations populistes et outrancières d’un Hugo Chavez Frias.

A la manière d’un Martin Luther King, je rêve moi aussi d’un monde qui serait sans frontières, où chacun serait libre d’aller et de venir, de s’installer où il veut, un monde où chacun serait, en un mot, « citoyen du monde », sans distinction de couleur, de race, ni de religion. La réalité, la dure réalité, nous apprend néanmoins que ce monde-là n’est pas encore pour demain. Faut-il pour autant baisser les bras et ne pas y travailler ?

C’est chacun selon sa conscience et selon ses capacités. C’est tout le sens de mon « Fais ce que tu dois, là où tu es ! ».

Bien fraternellement,

Plaisir, 15 janvier 2011