B.1.27. Les lézards de Dakar

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Les lézards de Dakar

 

     Même si la pruderie n’est pas un trait dominant de mon caractère, je dois avouer que j’avais été passablement agacé par le spectacle que donnait un homme, fort bodybuildé, sur la plage du Virage lorsque nous sommes arrivés à Dakar, il y a trois semaines.

     Sénégalais, de bon teint comme il se doit, notre bonhomme, uniquement vêtu d’un minuscule slip de bain, s’exerçait à faire des pompes tout juste en face de quelques touristes féminins qui se prélassaient sur leurs transats dans les dernières lueurs du soleil couchant. L’espace était pourtant assez grand pour lui permettre d’aller développer sa puissante musculature en un endroit plus discret. Pour les connaisseurs, la plage du Virage est essentiellement fréquentée par des surfeurs aguerris ; ils s’amusent à taquiner les vagues qui viennent s’y écraser en d’énormes rouleaux. Donc, hormis les vendeurs de souvenirs et de cacahuètes qui déambulaient entre les parasols, notre athlète de circonstance était réellement le clou du spectacle en cette fin de journée.

     Le voyant ainsi s’exhiber sans aucune retenue, il m’avait fait l’effet d’un géant ayant un pois chiche à la place du cerveau, tellement il se couvrait de ridicule par sa prestation éhontée.

     Me revint alors à l’esprit une autre image, beaucoup plus lointaine. C’était au mois de mai 1994. De Caracas, j’avais emmené une dizaine d’officiers de la Police Métropolitaine à la Guadeloupe pour un stage d’immersion de quinze jours. Ce stage devait leur permettre de découvrir, à moindre frais pour le service de coopération auquel j’appartenais alors, le fonctionnement des différentes composantes de notre police nationale française. Si le programme établi avec les responsables locaux maintenait mes loustics bien occupés durant la semaine, le week-end, il fallait trouver de quoi les distraire.  C’est alors que le CRS qui nous servait de chauffeur se proposa de nous conduire, un dimanche après-midi, à une plage naturiste située à la Pointe des Châteaux. L’idée emballa bien évidemment mes lascars. Bien qu’étant tous majeurs et même pères de famille pour certains, ils étaient sous ma pleine responsabilité ; je me devais par conséquent de ne pas les perdre de vue. Pour moi, cette expérience de baignade en public, dans le plus simple appareil, fut quelque chose d’inédit. Je dois reconnaître cependant que, passé les premiers instants de gêne bien compréhensible, elle fut très agréable. Autour de nous, des familles entières de Bataves totalement dévêtus prenaient des bains de soleil, ou jouaient au ballon dans l’eau turquoise avec leurs progénitures. Le seul élément qui dépareilla dans ce tableau rappelant le Jardin d’Eden fut un grand Noir qui, sans relâche, allait et venait sur la petite plage en exhibant avec fierté un sexe d’une longueur démesurée. Et c’est là que je reviens à mon amateur sénégalais de pompes, celui dont l’étrange comportement m’avait interloqué.

     Soad et moi saurons le fin mot de toute cette affaire un soir où nous dînions avec un couple d’amis français au restaurant du Centre culturel de Dakar. La femme nous raconta comment elle était régulièrement importunée, sur la plage de la Corniche, par ce type d’athlètes dont la démonstration ne visait qu’à donner une idée, aux étrangères de passage, des performances dont ils pouvaient être capables une fois au lit. Ce fut lumineux : mon prétendu sportif de la plage du Virage était just a gigolo ! Et, ce que nous ignorions, c’est que ces gigolos fleurissaient désormais dans toutes les stations balnéaires du Sénégal, de la Région du Fleuve jusqu’à la Casamance, en passant par la Petite Côte. Palsambleu ! Le pays de Senghor (1) avait bien changé !

     Pour avoir un peu voyagé, nous avions déjà pu constater les ravages du tourisme sexuel en d’autres coins de notre monde, notamment à Cuba et à la Jamaïque. Mais c’était bien la première fois que nous voyions les travaux d’approche se manifester sous une forme aussi grotesque : à Dakar, pour appâter la cougar, on fait le lézard ! (2)

     Bonne semaine !

Plaisir, 30 novembre 2013

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(1) Aujourd’hui, rien qu’à Dakar, l’aéroport international, un grand stade et l’une des avenues les plus importantes de la capitale portent le nom de Léopold Sedar Senghor.

(2) Je rappelle simplement, que « faire des pompes » se dit en espagnol «hacer lagartijas», de lagarto, lézard.