B.1.15. La solitude du patient

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La solitude du patient

 

     J’ai communiqué hier, à quelques uns de mes correspondants habituels, une vidéo d’environ quatre minutes en néerlandais qui a choqué certains d’entre eux, ma femme y compris. Moi, j’avoue humblement qu’elle m’a fait rire à gorge déployée car elle illustre bien ce que j’appelle la solitude du patient face à l’omnipuissance du corps médical dans son entier, de l’aide-soignant jusqu’au grand chirurgien. Et, lorsque pour une fois, on assiste à la vengeance du faible, cela fait du bien par où cela… sort.

     Ceux qui ont subi un examen de la prostate ou, pire, une biopsie de cet organe, comprendront aisément à quoi je fais allusion. Vous êtes placé dans une position des plus humiliantes qui est exactement celle dans laquelle se trouve la patiente de la vidéo incriminée. Lorsque cela se déroule en « fesse à tête » avec votre urologue, passe encore ; mais imaginez la même scène devant un aréopage d’infirmières et d’internes buvant les paroles du maître qui vous examine le fondement. Vous n’êtes plus une personne ; vous devenez tout juste un objet d’étude, un cas clinique.

     En parlant de clinique, j’ai été admis, au début de juillet 2011, à celle de l’Europe à Port-Marly (Yvelines) pour une ablation totale de la thyroïde. L’établissement avait très bonne réputation et le chirurgien qui s’occupait de moi me l’avait conseillé en lieu et place de l’hôpital public de Saint Germain-en-Laye où il intervenait également : j’aurai moins à attendre ! Seulement, entre son dépassement d’honoraires, ceux de l’anesthésiste et la chambre particulière que j’avais sollicitée pour les cinq jours d’hospitalisation prévus, j’en ai été pour quelque mille euros de ma poche. Ceci confirme bien que si la santé n’a pas de prix, elle a néanmoins un coût ! Je dois reconnaître que j’avais été bien préparé à cette opération qui a duré plus de deux heures et où j’ai eu la gorge tranchée. Lorsque je me suis réveillé, j’étais sur un brancard, abandonné dans un couloir où allait et venait pourtant une foule de gens. Ma première sensation a été celle d’un grand froid. Je n’étais vêtu que de cette robe en papier ridicule, entièrement ouverte dans le dos, et juste recouvert d’un drap. Tout près, deux membres du personnel soignant se racontaient leurs dernières vacances et, moi, je continuais de grelotter sur ma civière. La gorge fraîchement recousue, je ne pouvais pas parler, encore moins crier, pour attirer leur attention. A force de me geler, j’ai fini par donner de grands coups de pied dans la bordure métallique du brancard pour attirer leur attention. A la personne qui s’est approchée de moi, j’ai expliqué, en mimant du mieux que je pouvais, que j’avais besoin d’une couverture. J’ai obtenu satisfaction ; mais il m’a fallu attendre encore plus d’une heure dans ce couloir sinistre avant que l’on me remonte dans ma chambre : les brancardiers observaient leur pause-déjeuner !

     La nuit qui a suivi a été plus horrible encore. J’ai été réveillé vers une heure du matin par des cris provenant d’une chambre voisine. Un monsieur hurlait sans désemparer : « Au secours, je vais mourir ! A l’aide, à l’aide ! ». Cela a duré ainsi, pendant plus d’une demi-heure, et personne ne venait l’assister. Je me suis décidé à actionner l’alarme située près de mon lit. Au bout d’un temps qui m’a paru interminable, une infirmière est venue s’enquérir de l’objet de mon appel. Agacé, je lui ai demandé sèchement : « Vous n’entendez donc pas le monsieur qui crie depuis tout à l’heure ? ». Et elle de me répondre tranquillement : « Ah ! le monsieur ? C’est un vieux grincheux… mais il va bien finir par se calmer ». LE VIEUX GRINCHEUX NE S’EST JAMAIS CALME !!! Comme il était dans une chambre à deux lits, il empêchait également son voisin de dormir. La solution que ces géniales infirmières ont trouvé a été de me proposer de lui céder provisoirement ma chambre et de regagner la sienne. J’étais trop épuisé pour lutter ; je ne voulais que dormir et j’ai accepté. Lorsque je me suis réveillé, hagard, vers six heures du matin, j’ai cherché mes affaires pour m’habiller ; elles n’étaient pas dans le placard voisin de mon lit où ces pécores m’avaient pourtant assuré qu’elles les rangeraient. Comble de malchance, l’alarme ne fonctionnait pas.

     J’ai dû enjamber la ridelle de mon lit et, tenant le flacon de mon drain d’une main, je me suis mis à la recherche des infirmières de nuit à travers des couloirs totalement déserts. J’ai fini par les débusquer dans leur carrée où les deux préposées à l’étage dormaient à poings fermés. J’ai poussé une gueulante qui a tôt fait de les remettre sur pied. De mauvaise grâce, l’une d’elles m’a suivi pour dénicher mes habits qui avaient été négligemment entreposés dans le placard du lit voisin du mien et dont l’occupant, sûrement abruti par les tranquillisants postopératoires, continuait de dormir comme un angelot.

     Lorsqu’il est passé à huit heures pour sa tournée d’inspection, mon chirurgien m’a trouvé prostré sur une chaise. II avait appris, je ne sais comment, la folle nuit que j’avais passée. Il m’a alors posé la question de confiance : « On fait quoi ? ». Et je lui ai répondu tout de go : « Je veux rentrer chez moi ». Mon drain étant presque sec, il m’a signé mon billet de sortie et, à onze heures, j’étais dehors, au bout de quarante-huit heures d’hospitalisation.

     Des chroniques d’hôpital, je pourrais encore en conter, tant et plus.

     Tout le monde n’est pas Johnny Halliday pour pouvoir assigner (et, pour le coup, manifestement à tort), son chirurgien en justice. A moins de pouvoir s’offrir les services d’une clinique de haut standing comme on en voit en Suisse, la plupart des patients doivent simplement prendre leur mal en patience… sinon on les aurait appelés autrement. Mais, si la solitude du coureur de fond est chose bien connue, on ignore celle encore plus terrible du patient. Cette vidéo, dont certains n’ont vu que le côté scatologique, a le mérite de la rappeler. Mais, afin de m’éviter des cris d’orfraies, je ne transmettrai dorénavant le lien qu’aux seuls de mes correspondants qui m’en feront spécifiquement la demande (LOL).

                                     Plaisir, 24 novembre 2012