B.3.8. Laissez-moi prier mes morts…

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Laissez-moi prier mes morts…

 

     Dans l’ordinaire de la messe, je m’efforce, du mieux que je peux, d’être attentif au déroulement de l’office. Je prête bien l’oreille aux textes de la liturgie du jour que je lis souvent par avance dans mon propre missel pour mieux m’en imprégner ; je suis particulièrement sensible à la beauté des cantiques, surtout lorqu’ils sont bien chantés ; j’avoue « décrocher » parfois lorsque le sermon du célébrant est par trop longuet, aussi édifiant soit-il. Mais il y a un moment que je ne loupe curieusement jamais : c’est celui de la prière eucharistique et, de façon plus précise encore, le passage relatif aux intentions pour les défunts. Je peux même le citer de mémoire :

     « Souviens-toi aussi de nos frères qui se sont endormis dans l’espérance de la résurrection et de tous les hommes qui ont quitté cette vie ; reçois-les dans ta lumière auprès de toi. »

     Ce passage me fait effectivement penser à mes morts et me renvoie à mon humaine condition qui est de mourir, moi aussi, un jour. Le temps de quelques secondes, je revois tous les êtres qu’il m’a été donné de côtoyer sur cette terre et qui ont aujourd’hui disparu. Cela s’effectue à la vitesse de l’éclair ; mais j’essaie, dans cet instant précis, de n’en oublier aucun. Une longue pratique religieuse m’a rompu à cet exercice mental. Je commence toujours par les relations qui me sont les plus chères pour finir par celles qui me sont moins proches, mais dont le souvenir reste néanmoins vivace dans ma mémoire parce chacune d’elles, à sa manière, aura laissé une empreinte dans ma vie.

     Laissez-moi prier mes morts…

     Sans aller jusqu’à dire comme Jean-Jacques Rousseau que « j’ai trop souffert dans cette vie pour ne pas en espérer une autre », je suis intimement convaincu qu’il y a un « ailleurs » où il me sera donné de les retrouver toutes et de reprendre avec elles le fil de notre conversation pour un temps rompu. Cette conviction transite par le grand mystère de la foi qui me fait proclamer que Christ n’est pas mort pour rien. Et, si moi-même je ne crois pas en la valeur de son sacrifice, je ne suis rien.

    Bien qu’il soit encore vivant, le comédien Francis Perrin a publié en 2003 – il venait d’avoir 55 ans -,  une autobiographie où il évoque sa longue carrière d’acteur. Elle s’intitule « Mon Panthéon est décousu », titre humoristique qu’il aurait lui-même emprunté à Jules Renard. Dans mon Panthéon à moi, en plus d’Erika Boske à qui j’ai tenu à rendre hommage  dans mon dernier post, j’ai eu le triste privilège d’accueillir cette semaine Michel Méjean, un fils d’Aigues-Mortes d’entre les remparts, celui-là même que j’appelais affectueusement « mon couzing », en essayant d’imiter son accent.

     Laissez-moi prier mes morts…

Plaisir, 29 avril 2012