Impressions du Sénégal

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Impressions du Sénégal

 

     Comme mes proches et mes amis le savent, Soad et moi sommes à Dakar depuis une dizaine de jours pour passer un peu de temps avec ma mère. Celle-ci vit toujours dans sa villa du quartier HLM 1 où j’ai passé moi-même une partie de mon enfance. Nous fûmes parmi les premiers à emménager dans cette barre d’immeuble à un étage dès la fin 1963 : il y a donc cinquante années déjà. La physionomie du quartier a terriblement changé. Les constructions d’origine, qui présentaient une certaine uniformité, sont devenues anarchiques, chaque propriétaire agrandissant son bien au gré de sa fantaisie, sans normes architecturales bien définies. Pour ajouter au caractère disgracieux de l’ensemble, bon nombre d’édifices, faute de moyens financiers, sont restés dans un état de non achèvement, en ciment brut et avec des fers à béton saillant de toutes parts.

     Juste en face de la maison de ma mère, il y a une mosquée. La petite bicoque d’antan est devenue une énorme structure avec un haut minaret flanqué de douze haut-parleurs. À l’heure des prières quotidiennes, il est inutile de penser pouvoir entretenir une conversation suivie au téléphone ou écouter la radio, tant le volume sonore émis dépasse tout ce que l’on peut imaginer. Cela commence à cinq heures du matin pour se terminer tard le soir. Et encore heureux quand il n’y a pas dans le coin un de ces sabars endiablés, avec force tam-tam, pour vous tenir éveillés jusqu’à une heure avancée de la nuit.

     Lorsque l’on se promène aujourd’hui dans Dakar, on a l’impression que tout le monde fait du commerce. En dehors des marchés réguliers, les trottoirs de la plupart des quartiers, en particulier les plus populaires, sont envahis par des étalages de toutes sortes où le chaland peut trouver son bonheur avec des produits à bas prix, made in China, mais qui ne passeront pas l’année. Face à cette invasion, la seule option pour le piéton est de marcher dans la rue, au risque de se faire renverser par les voitures et les scooters, quand ce ne sont pas les véhicules hippomobiles.

     Partout, y compris en centre-ville, on est frappé par le désordre et la saleté. Lorsque nous sommes venus il y a deux ans, pour moi qui connaissais la ville mais qui n’y étais plus revenu depuis quinze années, le choc avait été si rude que j’avais été incapable de descendre du taxi que nous avions emprunté pour faire un tour ; des HLM, il nous avait conduits jusqu’à la Place de l’Indépendance, en passant par les anciennes Allées du Centenaire devenues Boulevard du Général de Gaulle et l’avenue William-Ponty reconvertie en avenue Georges Pompidou ; puis, retour derechef à la case départ ! Ce ne fut qu’au fil des jours, en conduisant moi-même le véhicule que nous avions loué, que je m’habituerai progressivement à l’agitation de la grande métropole où, aujourd’hui, tout paraît n’être que bruit et fureur.

     D’aucuns me rétorqueront que le Sénégal ne se limite pas qu’à sa capitale et que le pays regorge d’endroits enchanteurs qui valent encore la peine d’être découverts. Forts de ce principe, nous avions tenté, en 2011, l’expérience saint-louisienne ; je dois confesser que ce fut la même déception : des bâtiments qui rappellent, certes, un passé glorieux mais qui sont mal entretenus, une circulation anarchique où les calèches continuent de disputer la voie publique aux véhicules à moteur et, toujours et partout, les mêmes nuisances sonores et la même saleté.

     La solution ? Aller se réfugier dans l’un de ces resorts pour touristes argentés qui fleurissent en Casamance ou sur la Petite Côte ? Ce n’est pas, à mon sens, la meilleure façon de découvrir l’âme d’un pays et, quand bien même j’en aurais les moyens, je m’y refuserai toujours.

     C’est alors que l’on réalise que le regard d’un enfant a tendance à tout magnifier parce qu’il s’émerveille de peu. En vieillissant, mûri par l’expérience de la vie et des voyages que l’on a pu effectuer soi-même de par le vaste monde, on devient beaucoup plus critique et, par conséquent, moins indulgent. Je conclurai en disant simplement qu’il ne s’agit assurément pas de comparer Dakar à Sydney ou à Las Vegas ; mais je persiste à croire que pauvreté ne doit pas rimer obligatoirement avec saleté. Pour le reste, d’autres lieux, d’autres mœurs…

            Plaisir, 17 novembre 2013