J’aurai un jour l’occasion d’expliquer amplement pourquoi.
Just wait a bit!
Pont-Croix, 17 août 2025
Il est 17h30, à Plaisir, ce mercredi 4 septembre 2025 où je reprends l’écriture de mon article. Hasard du calendrier, ce jour correspond au 24e anniversaire du décès de René Verny, l’homme qui figure sur la première photo avec Soad, la femme de ma vie. Sur la seconde photo, Soad est en compagnie de ma mère, l’autre femme de ma vie.
Pendant les trente-huit années où je l’ai côtoyé, René Verny a été mon père adoptif. Cette adoption n’a été matérialisée par aucun document officiel ; elle s’est simplement, mais concrètement, traduite dans les faits. Dans son attitude à mon égard, je n’ai jamais senti qu’il faisait la moindre différence entre moi et ses six enfants légitimes, quatre garçons et deux filles. Pour René, j’étais le septième de ses enfants et le quatrième si l’on doit se référer à l’âge. Et pour ce qui se rapporte aux études, jusqu’au baccalauréat, je fus curieusement le deuxième, ce qui n’est pas une mince performance pour un enfant qui n’avait eu alors que l’Afrique pour seul horizon. Je sais que, tout comme ma mère, René Verny était fier de mes succès scolaires. A Dakar où il était en coopération, c’est lui qui m’annoncera ma réussite au certificat études primaires en 1963 et celle au brevet des collèges en 1967. Lorsque, toujours à Dakar, j’obtins mon bac en 1970 à tout juste 17 ans, il était depuis deux années en poste à Abidjan avec le reste de sa famille. En octobre 1970, j’ai pu gagner à mon tour Abidjan grâce à une bourse du Dahomey, l’actuel Bénin, pour y initier mes études universitaires. Mais cette migration fut rapidement tronquée par les nécessités de ma famille naturelle. En novembre 1971, je revenais à Dakar pour aider matériellement ma mère et m’occuper de mes huit frères et sœurs qui vivaient encore avec elle et dont mon père1 lui avait lâchement abandonné la garde. Mais ceci est une autre histoire que j’ai déjà eu l’occasion de raconter dans les moindres détails2 .
J’en viens à présent à la raison qui explique que j’aime ces deux photos. Parce que René et ma mère étaient des personnes en qui j’avais toute confiance, je n’ai jamais hésité à leur ouvrir mon coeur chaque fois que j’ai eu à affronter des circonstances difficiles dans ma vie. Et, à chaque fois, l’un et l’autre ont su patiemment m’écouter et m’aider dans la mesure de leurs moyens. Ce fut le cas lorsque j’ai commencé à vivre sous le même toit avec Soad, dès le 15 juin 1997.
René a été le premier à la rencontrer. Je lui ai présenté Soad alors qu’il habitait avec sa femme Régine au 30e étage de la tour Athènes, dans le quartier des Olympiades, à Paris 13e. Son accueil fut sans réserve. D’emblée, il adopta Soad avec la même spontanéité qu’il m’avait adopté, moi, en 1963, quand je n’étais qu’un petit garçon qui allait sur ses dix ans. Son attitude fut d’autant plus remarquable qu’il avait accepté d’être mon témoin lorsque je convolai en justes noces avec ma première femme, le 2 août 1976, en l’église Notre-Dame-des-Champs (Paris 6e) où son grand-frère André était vicaire. A ce catholique pratiquant, le fait que je n’étais pas encore divorcé n’a pas posé le moindre problème moral. Divorcé, je ne l’étais toujours pas à sa mort, le 4 août 2001. René était comme cela, un homme de droiture et de conviction ; bref, à la fois un honnête homme et un homme honnête. Sur la photo prise à l’occasion d’un déjeuner dans leur dernière résidence de la Celle-Saint-Cloud, je le retrouve dans une posture que j’ai bien connue chez lui : celle du professeur qui développe, avec les mains franchement ouvertes, les idées qu’il tient à partager. Et Soad écoute, souriante et manifestement conquise. Je verrai pour la dernière fois René, vers la fin du mois de juillet 2001, à la veille d’aller prendre mes nouvelles fonctions à l’ambassade de France à Kingston. Il était déjà très fatigué et se déplaçait avec une petite bouteille d’oxygène. Après avoir fait avec lui les courses que lui avait demandées son épouse, elle-même alitée depuis plus d’une année, je l’avais convié en toute simplicité à déjeuner dans un petit restaurant asiatique du centre commercial de Parly 2. Fort intéressé par tout ce que je lui contais de ma vie présente et passée, il m’avait dit, avec le plus grand sérieux : « Tu devrais écrire tout ça. » J’ai mis presque vingt ans avant de suivre son conseil, mais je suis fier d’y être parvenu. De là où il est, j’ai la certitude que je ne l’ai point déçu. De plus, ce long travail d’écriture, qui m’a permis de mettre des mots sur mes maux, m’a probablement épargné les divans des psychanalystes.
Avec ma mère, s’agissant de Soad, les choses ne furent pas aussi aisées. Par l’entremise de ma sœur aînée Edwige, mon ex-femme s’était employée à lui décrire ma nouvelle compagne comme une femme de mœurs légères. La première réaction de ma mère a donc été de me reprocher de suivre le mauvais exemple de mon père. Ayant d’autres chats à fouetter, coincé comme je l’étais à époque entre avocats, juges et huissiers, j’avoue que je l’ai envoyée vertement promener en lui demandant de s’occuper de ses affaires. Ce fut l’origine d’une fâcherie qui durera au moins deux bonnes années. Nous nous sommes vraiment réconciliés lorsque Soad m’a conseillé, alors que nous étions tous deux en poste en Jamaïque, d’aller la retrouver en France à l’occasion de mes vacances d’été de 2003. Ma mère y vivait déjà depuis plus d’une année pour raisons médicales et s’apprêtait enfin à retourner au Sénégal. Connaissant sa grande religiosité, j’ai effectué avec elle une retraite d’une semaine chez les sœurs de Saint-Morillon en Gironde. Au retour, nous nous sommes arrêtés à Bordeaux pour revoir ma sœur aînée Pulchérie et mon frère puîné Magloire. Au mois de septembre de cette même année 2003, lorsque je suis revenu à Paris pour le colloque annuel des attachés de police, ma mère passera toute une semaine avec moi, dormant même dans ma chambre d’hôtel et prenant ses petits-déjeuners en ma compagnie. Mais c’est seulement lorsque nous serons en Centrafrique, notre dernière affectation d’avant retraite, que les deux femmes de ma vie auront enfin l’occasion de faire connaissance. Le courant est bien passé. Soad a toujours été aux petits soins pour ma mère durant les trois séjours de deux mois qu’elle effectuera dans notre maison de Bangui, à savoir en 2005, 2006 et 2007. Elle parvenait à l’amadouer ou à la raisonner dans des situations qui me mettaient régulièrement hors de moi. La photo que j’ai choisie a été prise sur notre véranda de Bangui ; elle illustre bien cette complicité qui s’était établie entre elles. Une fois à la retraite, il en sera de même durant les deux voyages que nous effectuerons en 2011 et en 2013 pour aller rendre visite à ma mère dans son HLM de Dakar. Le troisième voyage de 2016 fut pour l’enterrer.
Aujourd’hui, je ne veux me souvenir que des bonnes choses. La meilleure d’entre elles est que, en dépit de toutes les prévisions des esprits chagrins, Soad et moi continuons de filer le parfait amour, plus de vingt-huit années après nos débuts difficiles. Et le fait que nous ayons mis dix-sept années avant de pouvoir nous marier n’y a rien changé. Au contraire, l’adversité nous a soudés plus que jamais et mon ex-femme, qui s’est acharnée à jouer les empêcheurs de tourner en rond au point de me brouiller avec les deux enfants3 que nous avons eus ensemble, en a été définitivement pour ses frais.
Fin de l’histoire.
1 Il est mort au Bénin le 19 novembre 1987, soit juste une année après mon vénéré beau-père, Madické Kâ.
2. cf. « L’Outre-océan de nos hiers », mon troisième livre publié chez Edilivre en 2020.
3. Ils auront respectivement 48 et 41 ans cet automne. No more comment.